mardi 28 octobre 2008

L’artisan et le mendiant

Il y a, d’une part les collectivités territoriales (Ville, Conseil général, Région) et d’autre part, le Ministère de la Culture avec un ministre à Paris et un directeur de DRAC à Lyon.

Les rapports avec les collectivités territoriales sont basés sur une vraie confiance. Nous travaillons dans une ville, au cœur d’une région. Nous sommes dans le concret de notre action et celle-ci peut être jugée sur le terrain à tout moment. La Croix-Rousse file vers les 10.000 abonnés. Elle a un taux d’autofinancement d’environ 60 %. Elle programme la plupart des metteurs en scène significatifs d’une esthétique : de Bruno Meyssat à Patrice Chéreau, de Bruno Boëglin à Richard Brunel, de Emilie Valantin à Laurent Pelly… Ses propres productions sont systématiquement suivies de longues tournées (entre 80 et 150 représentations pour chaque création). Tout cela fait l’objet d’un dialogue permanent avec les élus de tous bords.

La relation au Ministère de la Culture est d’un tout autre ordre puisqu’elle nous impose une posture de mendiant. Que mendions-nous ? Un vrai dialogue, une vraie honnêteté intellectuelle (Ah ! cette façon qu’a l’Etat de gagner du temps en diligentant des inspections, des audits, en fixant des échéances sans cesse contrariées, en se contredisant même entre la DRAC et le cabinet du ministre : l’un affirmant des décisions, l’autre les diluant dans le temps). Des mendiants parce que l’Etat nous impose une solitude assez vertigineuse. Nous sommes seuls face à ce monde de conseillers, de chefs de cabinet, de directeurs, de sous-directeurs, presque toujours à la recherche de la meilleure technique d’évitement.

Parfois (comme c’est le cas ici), un préfet de région (Jacques Gérault en l’occurrence) vient à notre secours, et alerte fermement notre ministre sur notre situation ubuesque.

Au fond, et Jérôme Bouët, ancien directeur de la DRAC, l’avait très précisément dit dans une interview, en parlant de l’époque où il était directeur de la DMDTS : « De Paris, on ne peut pas se rendre compte du travail d’un Philippe Faure à Lyon. » Il décida de faire de la Croix-Rousse une scène nationale (voir diverses interviews). Aussitôt le rapport Paris/Province se pose et son extrême déséquilibre. Là encore, nous mendions un rééquilibrage des moyens et des décisions.

Qu’on me comprenne bien, il n’y a pas de honte à être un mendiant et la brutalité de l’époque en jette dans les rues en quantités industrielles. Ce qui est dérangeant, pour ne pas dire insultant, c’est que le Ministère de la Culture crée ses mendiants. Pour reprendre l’expression fameuse de François Mitterrand : « le Ministère de la Culture a ses pauvres à lui. »

Tout de même, que faisons nous ici à La Croix-Rousse (et tous les autres ailleurs) si ce n’est défendre un service public, assumer une mission d’intérêt général ? L’Etat lui ne mendie pas, il se sert. Il fait les poches des collectivités territoriales et il nous regarde d’en haut en ne comprenant pas notre tristesse à mendier. Le pire dans tout cela, c’est que nous ne sommes plus en colère, nous ne sommes plus dans le combat. Comme "la petite fille aux allumettes" d’Andersen, nous tendons la main dans le froid de l’hiver. L’Etat, lui, a mieux à faire que de nous prendre la main, il sauve les banques.

Dieu soit loué (si j’ose dire), nous avons toujours assumé nos responsabilités, nous avons toujours payé de notre personne, nous n’avons jamais cherché à gagner du temps, à élaborer des stratégies tortueuses. Nous sommes là pour faire entendre la parole des poètes, pour que les metteurs en scène inventent le théâtre d’aujourd’hui, pour que les comédiens soient confrontés aux grands rôles. Nous sommes là pour que le public partage notre aventure. Peut-être le temps viendra-t-il où le Ministère de la Culture acceptera et décidera que nous sommes les artisans de cet art si mystérieux et si impalpable qu’est le théâtre ? Alors nous pourrons ranger dans nos malles d’osier nos oripeaux de mendiants et au hasard d’un Shakespeare, nous les ressortirions pour créer de vrais mendiants de théâtre.
Philippe Faure

À paraître dans La Tribune de Lyon le jeudi 30 octobre 2008.

lundi 13 octobre 2008

Lettre à Madame Christine Albanel, ministre de la Culture


« Le présent est la conséquence du passé. L’avenir, la conséquence du présent. »
Voilà comment Merleau-Ponty définissait le passage du temps. Si le théâtre est bien l’art de l’éphémère, sa tradition vient de la nuit des temps. Et inlassablement, pour se reconstituer, il a besoin d’avenir.
L’existence du Théâtre de la Croix-Rousse est récente (à peine plus de dix ans). Il s’est construit en même temps que s’inventait une aventure artistique. Tant de metteurs en scène d’ici et d’ailleurs, célèbres ou inconnus, expérimentés ou novices, ont travaillé sur notre
scène. L’ouverture comme exigence !
Il s’est construit en même temps que se fidélisait un public (2000 abonnés en 1994, autour de 9000 en 2006). Ici le public est en confiance. Il ose et tente l’inconnu. Il aime aussi retrouver ses fondamentaux. Il se prend au jeu, il vibre aussi à nos délires. Il s’est construit grâce à d’innombrables tournées de nos productions partout en France, Suisse, Belgique, puisque la plupart de nos créations ont dépassé la centième représentation.
Il s’est construit grâce au soutien sans faille des collectivités : Ville de Lyon, Région Rhône-Alpes, Département du Rhône, ministère de la Culture. Chaque année, les uns et les autres ont conforté nos moyens, dans la mesure du possible ; adapté leur aide à nos besoins.
Il s’est construit grâce au travail inlassable et ardent d’une équipe fière de sa mission de service public.
Aujourd’hui c’est le présent et le présent est la saison qui suit. Heureuse saison : tant de grands textes, de metteurs en scène fous de leur art, d’aventures hors normes, et puis cette saison de la danse, de l’opéra, du cirque. Une fête quoi. Le théâtre dans tous ses états.

Maintenant l’avenir.
Il est là. À portée de main. Tout est prêt. Le maire de Lyon, Gérard Collomb ; le président de la Région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne ; le président du Conseil général du Rhône, Michel
Mercier ; le directeur de la DRAC Rhône-Alpes, Jérôme Bouët ; tous se sont prononcés en faveur d’une nouvelle convention (rédigée ensemble) de Scène nationale. Celle-ci devait être actée avant fin 2007, comme l’avait promis le précédent ministre de la Culture, monsieur Renaud Donnedieu de Vabres.
Malheureusement un gel a surgi en début d’année 2008. Incompréhension générale. Mobilisation. Tristesse. Colère. Madame le ministre de la Culture, Christine Albanel, décide d’attribuer une subvention exceptionnelle de cent mille euros. Ainsi prouve-t-elle concrètement son attachement à notre maison. Reste ce label, ce label promis, porteur d’avenir. Et l’avenir, nous y croyons. Nous en faisons notre affaire. Nous lui faisons confiance. Le monde tel qu’il va, aura besoin de plus en plus de théâtre, d’artistes, de soirées inédites, de questionnements Ludiques, de gravité, d’enjeux politiques. Alors nous relevons ce défi.
Nos bras ne tremblent pas, tendus qu’ils sont vers l’avenir. Aussi madame le ministre, s’il vous plaît, pardonnez-nous d’anticiper ce label, en l’inscrivant au fronton de notre nouvelle saison. C’est que nous savons que, comme nous, vous partagez cet élan. Vivement
l’avenir. Vivement La Croix-Rousse/Scène nationale de Lyon.

Pétition contre le gel du label Scène nationale

Dans un courrier du 19 janvier 2007, Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, alors Ministre de la Culture, actait l’idée que le Théâtre de la Croix-Rousse serait Scène nationale avant le 31 décembre 2007.

Dans ce même courrier, il déclarait : « La qualité et la spécificité du travail accompli par Philippe Faure à la tête de ce théâtre, devenu en quelques années un pôle de rayonnement artistique et culturel à l’échelle nationale, sont incontestables. Le développement de la fréquentation, l’action conduite auprès des publics, le soutien apporté aux compagnies, la diffusion très importante des spectacles produits, sa démarche artistique de metteur en scène, tout cela confère à la Croix-Rousse une dimension singulière. »

Dans la perspective de cette labellisation, la Ville de Lyon, le Conseil général du Rhône, le Conseil Régional Rhône-Alpes et la DRAC se sont réunis autour de Philippe Faure pour définir un contrat d’objectifs (financier et artistique) qui engageait le Théâtre et ses partenaires sur les quatre années à venir, soit 2008-2011.

Ce travail en profondeur a permis de présenter au Ministre de la Culture un projet de convention Scène nationale recueillant l’adhésion de tous les partenaires publics.

Or, à partir du mois de septembre 2007, Monsieur le Maire de Lyon, Gérard Collomb, n’a eu de cesse d’obtenir la signature de cette convention promise par le précédent ministre, car entre-temps, Mme Christine Albanel est devenue Ministre de la Culture.

Monsieur le Maire a écrit à six ou sept reprises à Madame Albanel, en vain. Aucune réponse n’est venue avant janvier 2008, où le Ministère a fait savoir que la labellisation Scène nationale pour le Théâtre de la Croix-Rousse était gelée.
Cette réponse a résonné chez chacun comme une trahison. En effet, la parole de l’Etat était reniée et qui plus est l’avenir du Théâtre de la Croix-Rousse était rendu à une grande incertitude.

Il est à rappeler les propos tenus dans la presse par Monsieur Jérôme Bouët, Directeur Régional des Affaires Culturelles, représentant du Ministre :
« Je respecte beaucoup le travail artistique de Philippe Faure, son action culturelle. C’est un vrai théâtre, qui a une identité forte et un public nombreux et fidèle. Le paradoxe, c’est qu’on avait là une institution précaire. Avoir un contrat avec l’Etat le confortera, lui donnera un horizon. Et puis, on peut bien avoir un nouveau label national à Lyon ; dans la deuxième ville de France, ce n’est pas scandaleux, loin de là ! » (Lyon capitale, février 2007)

« Sur la question du spectacle vivant, s’il y a une chose que je revendique, c’est d’avoir permis au Théâtre de la Croix-Rousse de devenir une Scène nationale. » (Le Petit Bulletin, septembre 2007)

Dans ce moment extrêmement dangereux pour le Théâtre de la Croix-Rousse, où le Ministère de la Culture fait montre d’une désinvolture incroyable, (même s’il vient d’allouer une subvention exceptionnelle de 100 000 euros au théâtre) faisant fi de la grande histoire de la décentralisation, nous vous invitons à nous soutenir, et en signant cette pétition, à montrer à ce même Ministère que nous ne sommes pas seuls dans cette aventure, que c’est tout un public, que ce sont des professionnels, des journalistes, tout un peuple en somme, qui se scandalisent qu’un État puisse trahir des artistes.

Journée de soutien du 4 mars 2008

Le 4 mars 2008, toute l'équipe de La Croix-Rousse se mobilise pour le statut de Scène Nationale suite à la décision du Ministère de la Culture de suspendre le label. La Croix-Rousse convie public et politiques à signer une pétition et à venir soutenir le théâtre lors d'une grand journée festive et engagée.
Signez la pétition en ligne

Conférence de presse du 22 janvier 2008

Le 22 janvier, Philippe Faure organise une grande conférence de presse au Théâtre en présence de Pierre-Alain Muet, député du Rhône, Najat Vallaud- Belkacem, conseillère régionale Rhône-Alpes, déléguée à la Culture, Gérard Collomb, maire de Lyon et Frédéric Giuliani, délégué général à l’Animation et à la Culture du Conseil général du Rhône.






Je ne suis pas en colère, je suis fatigué.
Je ne suis pas déçu, je suis trahi.
Je ne suis pas triste, je suis désillusionné.
Je sais qu’ici et là, on plaisante beaucoup sur mon activisme, mon volontarisme, une façon burlesque et insolente de défendre des idées. Au fond, certains n’hésiteraient pas à penser que je suis systématiquement l’homme du one man show. D’autres plus gentils, plus aimables, qualifient mon comportement de comportement de poète, ce qui rend la chose plus tendre. Mais aujourd’hui, c’est l’homme de théâtre : directeur, acteur, metteur en scène, auteur, qui prend ses responsabilités. Le théâtre est un service public, il dialogue avec la politique, avec Le politique. Il pose constamment la notion d’intérêt général. Et c’est parce que j’estime que cet intérêt général aujourd’hui est gravement mis en cause et en danger que je vous ai réunis.

Je ne laisserai pas bafouer l’idée même de la décentralisation. Tant de grands hommes de théâtre se sont battus pour imposer cette idée fondamentale du « théâtre pour tous » qu’aujourd’hui, je me sens investi d’une mission solennelle : défendre le service public que je représente et que je suis fier de représenter, et énoncer la désinvolture d’un état qui ne considère plus qu’il doit le respect aux artistes. Et le premier des respects, m’a-t-on appris quand j’étais enfant, c’est le respect de la parole donnée. Quand on promet quelque chose à un enfant, on ne trahit pas sa promesse. A plus forte raison, en ces temps très difficiles, très complexes, quand on promet à un directeur de théâtre de le labelliser Scène nationale, non seulement on tient sa promesse - et je vais y revenir dans le détail - mais on ne cherche pas systématiquement, à gagner du temps, à noyer le poisson, à prendre ce même directeur pour un imbécile, pour un analphabète, en ne répondant pas à ses courriers, ni aux courriers du Maire, en lui collant des inspections générales chaque année, en prétendant qu’on va réfléchir sur une réorganisation territoriale des lieux de spectacles, en ne donnant jamais aux représentants régionaux du ministère un vrai pouvoir de décision ; et enfin, en gelant la décision sous prétexte qu’on va réfléchir au sens des labels nationaux. Comme si c’était l’urgence d’aujourd’hui.

On me demande toujours : pourquoi ce combat pour le label de Scène nationale ? Permettez-moi de lire la réponse qu’a faite Jérôme Bouët à cette question.

Maintenant que les choses sont dites, rentrons dans le détail.