mardi 2 juin 2009

De la mauvaise volonté et de la mauvaise foi pour un Centre de création

Chacun sera sans doute surpris de découvrir que La Croix-Rousse, par la magie ministérielle, de Scène nationale (en préfiguration) est devenue un Centre de création. Ce label n’existe pas, il a été inventé de toutes pièces par Georges-François Hirsch, directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles.

Celui-ci refusant obstinément d’attribuer à La Croix-Rousse un label existant (soit Scène nationale soit Centre dramatique régional). Pour mémoire, je rappelle ce que Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, précédent ministre de la Culture, nous écrivait en janvier 2007 :

« La qualité et la spécificité du travail que vous accomplissez à la tête de ce théâtre, devenu en quelques années un pôle de rayonnement artistique et culturel à l’échelle nationale, sont incontestables. Le développement de la fréquentation, l’action conduite auprès des publics, le soutien que vous apportez aux compagnies, la diffusion très importante des spectacles produits par le théâtre, votre propre démarche artistique de metteur en scène, tout cela confère à l’établissement une dimension singulière. »

Dans un autre courrier, il nous indiquait que La Croix-Rousse devait être labellisé Scène nationale fin 2007. L’élection de Nicolas Sarkozy en mai 2007 et la nomination de Christine Albanel comme Ministre de la Culture ont réduit à néant cette promesse.

Monsieur Georges-François Hirsch m’a menacé de sanction si j’utilisais un autre statut que celui de Centre de création (il souhaitait même y ajouter le qualificatif de "régional", oubliant que cela fait dix ans que nous sommes "régional"). Je suis donc contraint de me plier aux exigences de Monsieur Hirsch, car en ces temps très difficiles, seul l’intérêt général guide mon travail, et naturellement le combat continue en attendant des temps meilleurs.

Que soient remerciés pour leur soutien indéfectible : Jean-Jack Queyranne, le président de la Région Rhône-Alpes ; Gérard Collomb, maire de Lyon ; Michel Mercier, président du Conseil général du Rhône, qui chacun ont tenté de convaincre Georges-François Hirsch d’une labellisation nationale pour La Croix-Rousse, mais qui tous se sont heurtés à un refus catégorique. Contrairement aux apparences, je ne cède pas au dictat d’un homme, je m’engage à obtenir la reconnaissance que souhaitait Jérôme Bouët (ancien directeur de la DMDTS) précédent directeur de la DRAC Rhône-Alpes : « J’avoue que, vu de Paris, on ne peut pas comprendre la démarche d’un Philippe Faure ! On voit les choses de trop loin. Ce n’est que depuis quatre mois que j’ai mieux compris ce qu’il faisait. Je respecte beaucoup son travail artistique, son action culturelle. C’est un vrai théâtre, qui a une identité forte et un public nombreux et fidèle. Le paradoxe, c’est qu’on avait là une institution précaire. Avoir un contrat avec l’Etat le confortera, lui donnera un horizon. Et puis, on peut bien avoir un nouveau label à Lyon ; dans la deuxième ville de France, ce n’est pas scandaleux, loin de là ! »

Philippe Faure

mardi 28 octobre 2008

L’artisan et le mendiant

Il y a, d’une part les collectivités territoriales (Ville, Conseil général, Région) et d’autre part, le Ministère de la Culture avec un ministre à Paris et un directeur de DRAC à Lyon.

Les rapports avec les collectivités territoriales sont basés sur une vraie confiance. Nous travaillons dans une ville, au cœur d’une région. Nous sommes dans le concret de notre action et celle-ci peut être jugée sur le terrain à tout moment. La Croix-Rousse file vers les 10.000 abonnés. Elle a un taux d’autofinancement d’environ 60 %. Elle programme la plupart des metteurs en scène significatifs d’une esthétique : de Bruno Meyssat à Patrice Chéreau, de Bruno Boëglin à Richard Brunel, de Emilie Valantin à Laurent Pelly… Ses propres productions sont systématiquement suivies de longues tournées (entre 80 et 150 représentations pour chaque création). Tout cela fait l’objet d’un dialogue permanent avec les élus de tous bords.

La relation au Ministère de la Culture est d’un tout autre ordre puisqu’elle nous impose une posture de mendiant. Que mendions-nous ? Un vrai dialogue, une vraie honnêteté intellectuelle (Ah ! cette façon qu’a l’Etat de gagner du temps en diligentant des inspections, des audits, en fixant des échéances sans cesse contrariées, en se contredisant même entre la DRAC et le cabinet du ministre : l’un affirmant des décisions, l’autre les diluant dans le temps). Des mendiants parce que l’Etat nous impose une solitude assez vertigineuse. Nous sommes seuls face à ce monde de conseillers, de chefs de cabinet, de directeurs, de sous-directeurs, presque toujours à la recherche de la meilleure technique d’évitement.

Parfois (comme c’est le cas ici), un préfet de région (Jacques Gérault en l’occurrence) vient à notre secours, et alerte fermement notre ministre sur notre situation ubuesque.

Au fond, et Jérôme Bouët, ancien directeur de la DRAC, l’avait très précisément dit dans une interview, en parlant de l’époque où il était directeur de la DMDTS : « De Paris, on ne peut pas se rendre compte du travail d’un Philippe Faure à Lyon. » Il décida de faire de la Croix-Rousse une scène nationale (voir diverses interviews). Aussitôt le rapport Paris/Province se pose et son extrême déséquilibre. Là encore, nous mendions un rééquilibrage des moyens et des décisions.

Qu’on me comprenne bien, il n’y a pas de honte à être un mendiant et la brutalité de l’époque en jette dans les rues en quantités industrielles. Ce qui est dérangeant, pour ne pas dire insultant, c’est que le Ministère de la Culture crée ses mendiants. Pour reprendre l’expression fameuse de François Mitterrand : « le Ministère de la Culture a ses pauvres à lui. »

Tout de même, que faisons nous ici à La Croix-Rousse (et tous les autres ailleurs) si ce n’est défendre un service public, assumer une mission d’intérêt général ? L’Etat lui ne mendie pas, il se sert. Il fait les poches des collectivités territoriales et il nous regarde d’en haut en ne comprenant pas notre tristesse à mendier. Le pire dans tout cela, c’est que nous ne sommes plus en colère, nous ne sommes plus dans le combat. Comme "la petite fille aux allumettes" d’Andersen, nous tendons la main dans le froid de l’hiver. L’Etat, lui, a mieux à faire que de nous prendre la main, il sauve les banques.

Dieu soit loué (si j’ose dire), nous avons toujours assumé nos responsabilités, nous avons toujours payé de notre personne, nous n’avons jamais cherché à gagner du temps, à élaborer des stratégies tortueuses. Nous sommes là pour faire entendre la parole des poètes, pour que les metteurs en scène inventent le théâtre d’aujourd’hui, pour que les comédiens soient confrontés aux grands rôles. Nous sommes là pour que le public partage notre aventure. Peut-être le temps viendra-t-il où le Ministère de la Culture acceptera et décidera que nous sommes les artisans de cet art si mystérieux et si impalpable qu’est le théâtre ? Alors nous pourrons ranger dans nos malles d’osier nos oripeaux de mendiants et au hasard d’un Shakespeare, nous les ressortirions pour créer de vrais mendiants de théâtre.
Philippe Faure

À paraître dans La Tribune de Lyon le jeudi 30 octobre 2008.